Les altérations du fonctionnement hydroécologique de la Loire

Les grèves de Loire sont des milieux naturels caractéristiques des paysages de la Vallée de la Loire. Les grands bancs de sable et de vase accueillent une faune et une flore diversifiées et surtout adaptées aux conditions extrêmes de ces milieux.

La chenalisation du fleuve et son espace de liberté contraint

L’aménagement de la Loire n’est pas récent. En effet, dès l’Antiquité, le Moyen-Âge, l’endiguement de la Loire a débuté pour répondre aux diverses préoccupations et besoins des populations ligériennes et notamment aux protections des cultures et populations face aux crues. La capacité du fleuve à divaguer a ainsi été largement diminuée et son espace inondable nous rappelle l’étendue de la vallée, de sa plaine alluviale.

Les derniers aménagements d’ampleur réalisés aux 19ème et 20ème siècles ont fortement influencé le paysage actuel de la Loire de Nantes à Montsoreau, son hydrosystème, ses possibilités de divagation et  la dynamique fluviale dans son ensemble.  Ils ont concerné :

  • Le creusement du bassin à marée, à l’aval de Nantes ;
  • La suppression ou le déroctage de seuils naturels a permis une remontée de l’onde de marée au-delà de Nantes. Le seuil naturel emblématique de Bellevue a été concerné dans les années 70, avec un déroctage partiel et le creusement d’un chenal au Sud du seuil.
  • La création des épis et des chevrettes ont permis d’orienter le fleuve en concentrant les écoulements dans un chenal principal unique et comblant les annexes secondaires;
  • La création ou le renforcement de digues, levées de protection contre les inondations
  • L’enrochement des berges
  • L’exploitation massive de sable.

Seulement 40 % de berges naturelles pour la Loire et ses principaux bras, entre Montsoreau et l’Océan

Les cales, les quais, les levées et les enrochements de berge artificialisent 60% des berges. Ces espaces ne sont pas disponibles pour la dynamique naturelle du fleuve et modifient les habitats naturels.

Quais de Nantes © GIPLE
Chevrette à l’amont du bras de la Guillemette © GIPLE

Une ambition maritime

Pour développer le trafic portuaire, différentes stratégies se sont succédées. Il a fallu aménager la Loire pour qu’elle soit accessible pour de grands navires, ce qui a notamment nécessité l’augmentation de la profondeur du chenal. Les travaux ont été conséquents et ont ainsi permis d’augmenter la profondeur la Loire en resserrant son chenal et en contraignant les écoulements dans un chenal unique.

La géométrie, autrefois complexe du fleuve, a été simplifiée avec des annexes comblées, colmatées et son chenal approfondi.

Les prélèvements intensifs du sable dans la Loire sont à l’origine d’un fort déficit dans le stock sédimentaire naturel du fleuve. 70 millions de m3 de sable, l’équivalent de 4 siècles d’apports naturels de sable ont été prélevés à la Loire.

Les prélèvements directs dans le lit mineur de la Loire ont été complètement interdits en 1993, en Loire-Atlantique et Maine-et-Loire. Les extractions dans le lit majeur sont quant à eux, règlementés. Depuis, une partie du stock sédimentaire semble se reconstituer. Les effets sont observés en particulier à l’amont des Ponts-de-Cé (arrêt du creusement voire légère élévation du fond du lit selon les secteurs).

Une prise de conscience de l’enfoncement du lit de la Loire

L’effondrement du pont Wilson de Tours en avril 1978 est l’événement qui a marqué les esprits et la fin de l’exploitation désordonnée et excessive des ressources alluvionnaires du fleuve.

Les conséquences de l’ensemble de ces travaux sont considérables. Un chenal profond, plus régulier avec une pente plus importante, accélérant la vitesse du fleuve. Toutes les conditions ont été réunies pour que le courant de la Loire s’accélère.

Le lit principal de la Loire s’est ainsi incisé de plusieurs mètres à certains endroits de la Loire. Le niveau d’eau a ainsi diminué de 1 à 4 mètres à l’étiage selon la zone, au cours du 20ème siècle.

Les bras secondaires et bras morts sont aujourd’hui « perchés » par rapport au lit principal. Le bras de Varades se situe par exemple 1,9 mètres au-dessus de la ligne d’eau d’étiage et le Bras du Bernardeau à 4,4 mètres. Les annexes sont ainsi déconnectées du chenal principal, sur de plus longues périodes au cour de l’année, menaçant ainsi leur équilibre et leur fonctionnement.

Une fausse impression « d’ensablement » de la Loire, de ses bras

A l’étiage, lorsque de grands bancs de sable se découvrent et que l’eau est concentrée dans un chenal unique, certains imaginent un ensablement excessif. Pourtant, le fleuve est bien en  déficit de sable. 

Les annexes fluviales aussi impactées

Du fait de l’incision du bras principal, de sa chenalisation, les bras secondaires et autres annexes se retrouvent déconnectées beaucoup plus tôt et sur de plus grandes périodes que par le passé. Hors période de crue, certaines annexes ont perdu leur connexion directe avec le bras principal et peinent à conserver un caractère humide. Les marais et certaines boires sont maintenant artificiellement maintenus en eau par la manœuvre d’ouvrage.

C’est ce qu’on appelle le déséquilibre latéral de la Loire, entre le bras principal et les annexes fluviales.

En plus du déséquilibre latéral, les annexes fluviales subissent diverses pressions liées aux activités humaines: comblement, pollution, prélèvement de sable et d’eau, enrochement, mise en place d’ouvrage rompant la continuité. Elles n’ont pas été épargnées !

Les ouvrages dans les annexes

Pour accéder aux îles et les exploiter, de nombreux ouvrages ont été construits notamment des seuils, des buses ou des murets, qui rendent alors accessibles les îles aux véhicules et piétons. Certaines connexions ont aussi pu être fermées. Les aménagements bloquent la continuité sédimentaire et hydroécologique et affectent les espèces attachées à la dynamique fluviale naturelle.

Ouvrage de franchissement du 
bras de la Ciretterie
Ouvrage de franchissement du bras de la Ciretterie
Ouvrage de franchissement du Louet
Ouvrage de franchissement du Louet
Connexion busée sur une annexe
 fluviale de Loire
Connexion busée sur une annexe fluviale de Loire

Sans continuité, les espèces ne peuvent plus migrer. Le piégeage peut leur être fatal.

La trajectoire écologique des bras trop souvent accélérée

La perte de dynamique fluviale va favoriser la fermeture et la végétalisation des bras, une perte de son caractère aquatique et humide.

Si ce phénomène est naturel, son accélération sur l’ensemble des bras est impactante d’autant que l’équilibre entre la fermeture et la création de nouveaux bras est rompu sur la Loire et serait aujourd’hui socialement difficilement acceptable.

Outre l’uniformisation du paysage, c’est aussi l’appauvrissement de la diversité d’habitats naturels et une perte de biodiversité globale qui est en jeu.

D’autres facteurs perturbent l’équilibre des annexes de Loire

 Le développement des peupliers de culture à la place des essences locales, l’assèchement de certaines zones humides pour le développement de certaines pratiques agricoles, maraîchères, des pratiques entretiens trop importants, la multiplication des sentiers et autres zones de loisirs sont autant d’éléments qui modifient l’équilibre des annexes.

Et une fois les milieux déséquilibrés, les espèces exotiques envahissantes ont plus de facilité à s’installer et à proliférer.

Berge enrochée et peupliers © CEN
Berge enrochée et peupliers © CEN
Boire colonisée par la Jussie, espèce exotique
la plus commune © CEN
Boire colonisée par la Jussie, espèce exotique la plus commune © CEN
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